Photo :source Rfi.
Il existe bien un art malin en Occident[1] :
baptiser « paix » une certaine manière de faire la guerre.
En 341 avant notre ère, Démosthène tentait d’ouvrir les yeux des Athéniens sur
les « offensives de paix » de Philippe de Macédoine : «
Notre adversaire, qui a les armes en main et s’entoure des forces
considérables, se couvre du mot de paix tout en se livrant à des actes de
guerre » leur disait-il. Philippe avait d’ailleurs ses Afghans, ses Somaliens,
ses Libyens et ses Maliens, car, nous apprend Démosthène, « N’a-t-il pas
dit aux malheureux habitants d’Orés qu’il leur envoyait des troupes par amitié,
pour veiller sur eux ? ». Il faut être insensé, prévenait l’orateur
pour « considérer comme un état de paix une situation qui permettra à
Philippe, quand il aura pris tout le reste, de venir nous attaquer chez nous… C’est
nommer ce qui est sans doute paix pour lui, mais nullement pour nous. » Philippe
entretenait lui aussi ses « partisans de la paix » chez les Athéniens,
les uns simples naïfs, d’autres purs ignorants ou indifférents, d’autres enfin,
les plus actifs, agents rétribués, tout comme les nôtres. Leur travail était de
répéter partout et toujours que Philippe voulait la paix et les Athéniens la
guerre. Comme Aminata Traoré ou Saidou Badian, Démosthène était un homme opposé
à la guerre. Bien qu’ayant prévenu les Athéniens, il a parlé en pure perte.
Comme nous l’indique la Troisiéme
Philippique, Philippe avait acheté les consciences.
Pour tous les peuples, la paix signifie point de feu pour décimer des enfants et incendier des maisons, autrement, et point de guerre. Justement lorsque les armées sont paisiblement dans les casernes. C’est aussi lorsque la population n’est pas inquiétée par des hommes violents et archaïques. Que personne ne représente ni David ni Goliath… l’humanité n’est qu’unique espèce.
Au milieu des années 80, les intellectuels et acteurs internationaux occidentaux se posaient les questions suivantes, lesquelles paraissent, à tout points de vue, plus qu’actuelles, avec l’interventionnisme tous azimuts des grandes puissances mondiales : les démocraties devront-elles accepter la guerre pour échapper à la servitude ou accepter la servitude pour échapper à la guerre ? Ou bien, au pis, devront-elles subir une guerre qui se terminera par leur asservissement ? Entre elles, le courage des grands hommes a imposé un changement pour extirper leurs populations du chaos. Leur dernier exploit fut l’ébranlement du Mur de Berlin. Et aujourd’hui encore, le prix Nobel décerné à l’Union Européenne en dit trop long.
En revanche, pour les autres nations, en l’occurrence en Afrique, le troc de la sécurité contre la servitude s’est traditionnellement ramené à ce classique ultimatum : « Soumettez-vous, sinon vous serez détruits ». C’est ce que Enzo Bettiza nommait « pacifisme d’assaut » et tout récemment remplacée par « guerre humaniste » afin de provoquer la chute du régime de Kadhafi. Mais aujourd’hui, la réalité est désastreuse pour le peuple libyen pris en otage dans des luttes tribales et claniques auxquelles le régime « semi- instauré » par l’Elysée doit faire face. La guerre contre l’Irak de Saddam Hussein cachait une double motivation : la revanche d’un fils frustré à son père historiquement malheureux et la poursuite des intérêts impérialistes.
En ce qui concerne la France, et notamment ses relations avec ses anciennes colonies, les motivations n’ont jamais dépassé la volonté d’imposer, de civiliser et d’extraire les matières premières pour son propre développement. Le pétrole libyen a été négocié par l’effusion du sang des civils en provoquant une pseudo-intervention diligentée selon les résolutions onusiennes. Depuis le 10 janvier 2013, c’est l’uranium et probablement le gaz que le gouvernement de la Gauche française convoite sous un faux prétexte de répondre à la demande des autorités maliennes. Cependant, le coup d’état du 22 mars destituant le Président Amadou Toumani Touré et la démission du Premier Ministre, le Professeur Mobido Diarré, laissent apparaître clairement l’ombre de la « Régie ». En France, on peut bien changer de tendance politique, mais l’esprit colonialiste et impérialiste demeure intact. Il suffit qu’un philosophe ou des réseaux se mobilisent pour que les bastions militaires s’engagent dans une guerre. Les dépenses seront amputées aux butins de guerre qui ne sont autres que l’or noir, le cacao, le fer ou le poisson africain. Certains salaires de la fonction publique française sont entachés de sang des innocents. Baudelaire proposait d’ajouter deux droits supplémentaires à la liste des droits de l’homme : le droit de se contredire et le droit de s’en aller. Malgré ses principes issus des Lumières, la France n’a fait l’usage jusqu’ici que du premier.
Avant que la mission de l’opération Serval ne soit
déclenchée pour traquer les terroristes (AQMI, Ançar Dine et Boko Haram), les
ressortissants français ont été évacués et interdits de tout séjour au Mali. Seuls
les otages français resteraient détenus entre le Niger et quelque part dans le
Nord du Sahara. Vu que les soldats français sont sur le terrain, on ne peut
supposer que les services de renseignements français soient amplement informés
de leur mort. Françoise Hollande a décidé d'employer:
« Œil pour œil, dent pour dent ». Ce sont les populations civiles qui vont
payer les pots cassés. Les groupes armés
vont momentanément se fondre dans la population locale. D’autres vont résister
jusqu’à atteindre leur objectif, à savoir le martyr. Juridiquement discutable
en islam. Mais étant donné qu’il s’agit de l’Occident, la bataille se
transforme automatiquement en une croisade. N’oublions pas que l’armée
française est partie combattre des fanatiques religieux et islamistes. Une
autre raison pour légitimer et renforcer leurs positions de lutte sacrée. Point
de polémique. Mais le Serval a impliqué la France dans une posture géo-stratégiquement
dangereuse. Le message des terroristes est assez menaçant pour l’intégrité et
la sécurité des citoyens français et leurs intérêts de part le monde. La France
est dans l’œil du cyclone.
Soldats français à la porte de la Gare du Nord (Paris, 15 janvier, source LeMonde.fr).
La position de « deux poids, deux mesures » intrigue les consciences. Nul n’est contre le fait qu’il faille combattre toutes les bandes organisées et terroristes notamment Aqmi, mais l’esprit du va-t-en-guerre rappelle l’une des facettes des relations que l’Hexagone entretient avec l’Afrique. Il est légitime de se poser cette question : la France "aime-t-elle" tant l'Afrique que ses dirigeants aiment à le dire? De nos jours, rien ne donne à le croire, ni dans l’Histoire ni dans l’actualité.
Comment la France veut-elle sauver ce peuple quand on sait qu’à Montreuil (Saint-Denis)[2], les émigrés maliens sont considérés comme des pestiférés. On déshumanise à Paris et l’on allume le feu en même temps sur le Mali. Il y a là un grand paradoxe. L’humanisme français scandé par les autorités françaises est à géométrie variable. L’OTAN et la France ont fini de faire du Sahel une poudrière[3]. Les Africains doivent apprendre à prendre en main leur destin. Et s’il faut s’orienter vers d’autres partenaires économiques afin de traiter d’égal à égal. Car là, c’est clair, la France joue seulement le rôle de « gendarme d’Afrique[4] » et de « pilleuse».
Sur ce point, la position de l’ancien secrétaire de l’Union Africaine Jean Ping appelant à la rupture et la volonté d’imposer l’autonomie de l’Afrique et de ses forces armées, est à revisiter. Sans cela, la stabilité des pays frontaliers du Mali est grandement menacée. Le Maroc a réussi à combattre le terrorisme là où la Mauritanie a subit la guerre par procuration. Même si la comparaison paraît inadaptée, les stratégies demeurent idoines pour contrecarrer la menace terroriste. Le risque d’embrasement dans la région est aujourd’hui effectif. Même le Sénégal, jusque là épargné par les opérations terroristes, pourrait être victime des attaques.
Pays ménacés d'attaques terroristes, source de la carte ( Rue82)
Sans apporter aucune vision de l’avenir, au regard du contexte chaotique qui régnera après le départ des troupes françaises ou africaines, il me semble opportun de partager cette réponse que le grand philosophe Karl Popper[5] apportait à la question : « En quoi croit l’Occident ? »
Il disait : « Ce sont des choses bonnes, et des choses mauvaises, du moins ainsi m’apparaissent-elles. Il y a bien des faux prophètes, chez nous, en Occident, et bien des faux dieux. Il y a des hommes qui croient au pouvoir, et à l’asservissement d’autres hommes. Il y a des hommes qui croient à une nécessité historique, à une loi de l’histoire que nous pourrions deviner et qui nous autorise à prévoir l’avenir et à nous ranger au bon moment du coté des futurs détenteurs du pouvoir. Il y a des prophètes du progrès et d’autres à la stagnation, et tous trouvent des disciples crédules, en dépit de tout ».
[1] Troisième Philippique 6-8 passim. Tr.fr M. Croiset, Les belles Lettres.
[2] CF L’affaire des 60 émigrés maliens venus de la Libye, devenus sans abris pendant plus de quatre semaines et délaissés par les autorités municipales de la Mairie de Montreuil. En novembre 2012, il a fallu l’intransigeance de la Brigade Ant-Négrophobie et la mobilisation de certains citoyens pour que ces derniers soient logés au chaud. La classe politique est restée muette sur cette affaire et aucun média français d’envergure n’a porté cette problématique à l’opinion publique. Contrairement à ce qu’elle fait avec l’intervention militaire au Mali.
[3] La Guerre du « Sahelistan » aura-t-elle ? Le Monde Diplomatique, Janvier 2013, N706, page 12-13.
[4] Cf le communiqué de l’Association française Survie rendu public le 14 janvier 2013.
[5] Lire Karl Popper., A la recherche d’un monde nouveau, Les Belles Lettres, 2011, page 284-285.
Pour voir le risque dans la sous région voir : http://www.lemonde.fr/afrique/visuel/2013/01/16/mali-la-carte-des-operations-militaires_1817660_3212.html
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