Le Docteur Doumbia Major est docteur de l’université Paris-Est. Il a produit recemment, une analyse sur l’intervention française au Mali que nous avons publiée sur notre site. A la suite de cette analyse, il a eu une discussion d’éclairage sur cette intervention militaire qui est au coeur des débats. Nous mettons cet échange publié par monsieur Waigalo, à la disposition de nos lecteurs qui souhaiteraient avoir un avis éclairé sur l’intervention militaire française qui est actuellement en cours au Mali
Ousmane Waigalo
Bonjour et merci Docteur, j’ai lu ton analyse fracassante sur l’intervention française au Mali, j’ai beaucoup apprécié, nombreux de mes amis aussi et certains l’ont même partagée.
Docteur Doumbia Major : camarade Ousmane tu connais mieux la situation du Mali que moi et tu sais que le MNLA est la création des services français, qui l’ont mis en place comme cela avait été fait au Niger où des jeunes Touaregs ont été manipulés contre le Président Mamadou Tandja en les incitant à la mise en place du MNJ et du FLAA (front de libération de l’Aïr et de l’Azawad) qui, selon plusieurs sources, auraient été armés par des services secrets français, en collaboration avec AREVA qui est la principale société française qui exploite l’uranium du Niger.
Tu sais que nombreux de ces combattants Touaregs du FLAA se sont retrouvés en Lybie et qu’ils sont revenus surarmés avec des armes qui leur avaient été remises par les services français!
Tu sais qu’après le guerre de Lybie, lorsque les combattants Touaregs ont ouvert le front pour la conquête des territoires du Nord du Mali et qu’ils ont déclaré la république autonome de l’Azawad, c’est par la suite que le mouvement Ansar dine a pris le contrôle du Nord du Mali au moment où les français s’y attendaient le moins !
Tu sais très bien aussi comment le tapis rouge était déroulé aux leaders du MNLA en France en dépit des lois anti terroristes qui sont appliquées à géométrie variable, ce qui fait qu’on poursuit en France des chefs de guerre qui sont hostiles aux intérêts français, alors que ce pays devient un sanctuaire de protection pour les seigneurs de guerre qui sont favorables aux intérêts français. Tu sais bien comment les chaînes de télévision Françaises et les radios étaient ouvertes aux porte-paroles du MNLA, alors qu’en d’autres temps un chef de rébellion armée ne peut pas circuler en France, à plus forte raison passer librement sur des chaines publiques ou privées au moment où son mouvement est en train d’attaquer un pays qualifié ou considéré comme un pays ami.
Au regard de ceci, tu sais bien et tu comprends que si la France intervient pour libérer le Nord du mali, c’est parce que cette zone a échappée à ses poulains, pour complètement tomber dans l’escarcelle d’ Ansar Dine et AQMI qui sont des mouvements de djihadistes sur lesquels les services français n’ont aucun contrôle et qui, de plus, sont constitués de personnes hostiles à la France, contrairement aux leaders et membres du MNLA, mais qui malheureusement ne font pas le poids sur le terrain.
Il est donc clair que face à ce tableau et face à la progression de ces islamistes vers le Sud, le peuple malien peut être content, car le Mali sera libéré par la France, pas de gaîté de cœur ni par générosité, mais parce que la France craint Ansar dine qui risque de prendre le contrôle de la totalité du Mali. Ce qui fait la chance du Mali et qui oblige la France à intervenir c’est que celle-ci ne contrôle pas Ansar Dine, contrairement au MNLA qui est composé de Touareg plus coopératifs.
Ousmane Waigalo : oui, je commence à bien voir
Docteur Doumbia Major : Il faut donc comprendre que cette intervention ne se fait pas par amour pour les maliens, ni par amour pour les africains. Elle se fait parce que la France a des ressources stratégiques au Mali et il faut qu’elle s’engage militairement pour protéger ces ressources qui ne doivent pas tomber sous le contrôle de Ansar Dine. Je te rappelle que l’or du Mali fait plus de 50% du PIB de ce pays. Ce que SOMADEX (filiale de Bouygues qui exploite l’or du mali) rapporte à la France est énorme pour laisser cela sous le contrôle de groupuscules islamistes incontrôlés
Ousmane Waigalo : C’est ça, il me paraissait surprenant de voir la France, qui dit qu’elle n’a pas d’amis mais uniquement des intérêts, faire une intervention militaire gratuitement !
Docteur Doumbia Major : Je ne te fais pas cas des réserves d’uranium qui sont des matières premières stratégiques, ni cas des entreprises telles que SAUR qui sont dans le secteur juteux de l’énergie. Par ces temps de crise en France perdre toutes les entrées de devises que rapportent plus d’une cinquantaine d’entreprises françaises installées au Mali serait un coup dur pour l’économie française qui peine à s’en sortir ! Sans compter le fait que la monnaie du Mali, le Franc CFA qui est sous le contrôle du trésors public de la France peut être remise en cause par les islamistes s’ils prennent le contrôle total du pays. Il ne faut pas oublier que ces Islamistes menacent d’étendre leur territoire, au nom de l’islam. Ils représentent donc, en un mot, un risque pour les intérêts de la France dans toute la sous-région. Tout calcul fait la France n’a d’autre choix que celui d’intervenir pour stopper la progression des groupes islamistes !
Ousmane Waigalo:On peut donc dire qu’à quelque chose malheur est bon !
Docteur Doumbia Major : On peut dire ça comme ça ! Le peuple malien bénéficiera des bénéfices collatéraux de l’intervention militaire de la France, qui vient au Mali défendre ses intérêts économiques avec son armée. Mais le peuple malien et son bien-être ne sont pas la préoccupation principale qui motive cette intervention. Comme tu le dis, à quelque chose malheur est bon
Ousmane Waigalo : Le peuple est tellement fatigué qu’il ne voit pas la chose comme ça, comme tu as l’habitude de le dire, ici il voit le verre comme un verre à moitié plein, et il salue l’intervention sans comprendre les enjeux cachés. Le peuple pense naïvement qu’on l’aime !
Docteur Doumbia Major : C’est vrai, mais il faut comprendre le peuple, il a l’habitude de ne s’intéresser qu’aux effets et aux résultats ; les causes et enjeux sont secondaires pour lui. Cela dit mon inquiétude actuelle, c’est que non seulement ils ne chasseront pas tous les islamistes, car il faudra laisser une sorte d’épée de Damoclès pointée sur la tête des politiques maliens, mais je crains qu’au sortir de cette intervention ils ne mettent ou ne maintiennent à la tête du Mali un pantin qui perpétuera le système d’exploitation de ce pauvre peuple dont les ressources naturelles sont pillées aux dépens des populations qui sont maintenues dans la misère, dans l’indifférences des politiques qui sont plus préoccupés par la mise en pâture et le pillage des ressources de leurs pays, que par le bonheur véritable du peuple malien !
Ousmane Waigalo : Quelle doit être l’attitude des maliens et des africains par rapport à ça ?
Docteur Doumbia Major : C’est comme si on demandait de choisir entre la fièvre Ébola et le Sida ! Les islamistes sont comme l’Ébola, fièvre méchante qui tue très vite, alors que le sida est une maladie qui affaiblit le système immunitaire, il tue mais on peut vivre avec cette maladie pendant un long moment avant d’en mourir
Ousmane Waigalo : Ah oui, et surtout que ces politiciens sont une grande partie responsabilité de cette crise !
Docteur Doumbia Major : Quand quelqu’un vient remplacer l’Ébola par le sida on est souvent tenté de lui dire merci ! Même si on sait qu’il a participé directement ou indirectement à vous inoculer le virus de l’Ébola auquel on peut comparer le MNLA qui est une création du pompier pyromane.
Ousmane Waigalo : C’est une analyse pertinente Docteur. C’est l’explication qui convient je trouve. Je viens d’ailleurs d’apprendre que le MNLA a produit une déclaration dans laquelle il se dit prêt à aider la France
Docteur Doumbia Major : Le MNLA se sent trahi, parce que ces Touaregs se rendent compte que leur mouvement a été créé avec toutes les garanties de soutien de l’ancien pouvoir alors que le nouveau pouvoir qui est en France les met dans le même sac qu’Ansar Dine pour faire le nettoyage. C’est ce traitement indiscriminé dont ils sont l’objet qu’ils considèrent comme une confusion dommageable de la part des autorités françaises. C’est ce qui les pousse à lancer subitement un message pour se démarquer et rappeler leurs liens et accords secrets, mais je ne crois pas qu’Hollande aura le temps de trier et de démêler qui dans ce désert et ce cafouillage est Ansar Dine et qui est MNLA. Je crois qu’il nettoiera d’abord tout le Nord, en apportant un appui logistique à l’armée malienne et aux soldats de pays africains qui se joindront au lot et qui feront le travail de fantassins sur le terrain. C’est après qu’il verra s’il faut laisser une petite poche de Touareg dans le Nord. Bien entendu on se servira de ces éléments résiduel qu’on laissera survivre comme menace qu’on fera planer sur les dirigeants maliens pour les rendre plus dociles et coopératifs !
Ousmane Waigalo : C’est un niveau de compréhension qui n’est pas accessible du premier coup au commun des mortels, le peuple ne voit pas forcément la chose ainsi. Porté par l’enthousiasme de la situation son appréciation est plutôt dans le sens de dire merci à la France! Merci Docteur de nous éclairer par ces échanges
Docteur Doumbia Major : Le peuple malien et les personnes qui ne sont pas trop au fait de la politique s’extasieront certes pour dire merci à la France, mais les personnes très averties diront merci sans trop d’enthousiasme. Merci parce que seule une puissance militaire peut stopper le péril que représente ces groupuscules armés face à une armée malienne mal équipée, qui ne maîtrise pas le terrain des opérations dans un désert vaste et parfois hostile, à cause de la dimension ethnique et religieuse de la guerre (ce qui fait que les islamistes peuvent bénéficier de complicités sur le terrain)
Mais ce merci sera atténuer par la connaissance des enjeux économiques, et le fait de savoir que la libération du Mali ne sera que la résultante d’un effet collatéral d’un engagement de la France pour protéger ses intérêts économiques et stratégiques au Mali et dans la sous région.
Ousmane Waigalo :Tu m’as écorché la face cachée de l’opération serval. J’apprends beaucoup avec toi, et je sais que tu te rends compte de cela. Je me considère comme un de tes élèves. Tu me formes bien.
Docteur Doumbia Major: L’opération serval est un deal que les maliens ne peuvent pas refuser, car c’est pour eux le moindre mal ! Mais il est bon pour les maliens et les africains d’avoir conscience et d’être informé du contenu des cartes ! Afin de ne pas sombrer dans un enthousiasme naïf, par ignorance et mauvaise informations.
L’autre chose qu’on peut espérer c’est qu’Hollande qui a décidé de se démarquer de Sarko et des autres dirigeants français, en profite pour revoir le type de coopération avec le Mali. Nous espérons que se sera l’occasion de la mise en place d’une nouvelle forme de coopération qui ira dans le sens de rapports plus égalitaires et nous espérons qu’il en profitera pour faire une plus grande pression sur les dirigeants maliens, afin que ceux-ci redistribuent plus les ressources du Mali à sa population qui se voit contrainte à l’immigration, alors que le Mali dispose de ressources non négligeables.
Ousmane Waigalo:Je comprends bien. Merci mille fois Docteur pour ce bon échange.
Docteur Doumbia Major: De rien Ousmane, tu es un politique et mon devoir c’est de partager les analyses avec toi. Tu dois être au dessus de la mêlée et ne pas crier victoire au moment où la foule qui ne comprend pas les enjeux crie victoire ! Je pense que de manière réaliste tu dois saluer l’intervention française, mais sans faire plus que cela. Mais ce que vous devez surtout faire, c’est de surveiller ce qui se fera du côté politique, car c’est de là que dépendra la suite. Sinon sache que la France n’a pas le choix ; elle va intervenir, même si l’ONU et le CEDEAO ne lui donne pas son accord, car ce sont ses intérêts qui sont en jeu. Le plus important ce n’est donc pas l’intervention, puisque la décision est prise de ce côté-là ; le plus important ce sont les mouvements politiques qui se feront pendant ou après l’intervention
Ousmane Waigalo : C’est important sinon les dirigeants vont tjrs maintenir le même système de gérance des ressources qu’ ATT.
Docteur Doumbia Major: C’est cela le véritable enjeu pour vous, c’est sur cette question que vous devez observer la chose avec sang froid, calme, lucidité et vigilance ! Je crois en avoir assez dit sur la situation, je vais maintenant te laisser.
Ousmane Waigalo : Je voulais te demander la permission de le partagerai sur mon mur. Merci encore Docteur
En tout cas c’est ça, j’ai été vraiment édifié de tes explications! Nous comptons te revoir quand?
Docteur Doumbia Major : Pas de souci tu peux le partager avec d’autres camarades, si ça peut édifier d’autres amis sur ces questions stratégiques.
Je reviendrai, et je serai à vous certainement la semaine prochaine pour qu’on poursuive nos échanges et analyses. Bye
Propos recueillis par Adou Basile
source :http://ivoirescoop.net/axps/permalink/13435.html
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