En Mauritanie, l’histoire est prise en otage entre deux tragédies : une terrible falsification de l’histoire et un déni de tout passé culturel de certaines franges nationales. Tous les régimes, et cela depuis celui que l’on nomme le père fondateur, ont contribué progressivement à marginaliser les Peuls, les Soninkés et les Wolofs. Cela se passe par la violation flagrante des droits culturels. A cela, il faut ajouter l’exclusion et la discrimination. C’est la raison pour laquelle, vu de l’extérieur, le pays est, en apparence, culturellement uniforme. La ville de Chinguitty caractérise partout les symboles de l’identité nationale, tandis qu’officiellement, les objets culturels noirs ne sont nulle part représentés. Comment nommer cette réalité si ce n’est une domination culturelle viscérale ? Comme il s’agit là d’un constat consensuel, nombreux sont les noirs qui ne s’identifient point de cette identité faussement constitutionalisée.
Qu’apprend-t-on à l’école aux enfants à propos de la forêt de Bayara entre M’Bagne et Dawallel[1] ? Que disent-ils les livres d’histoire du village de Woloum[2] ? Djowol, qu’en disent les chroniqueurs ? Quels sont les premiers occupants d’Aleg ? A qui a appartenu le grand lac d’Aleg ? Que sait-on de Guimmé[3] ? Pourquoi Bourgoudouna et Aténe ne sont pas considérés comme des villes anciennes sachant que ces deux villages ont abrité le règne Foutankais de Hamady Mana ? Absolument rien du tout.
Cette partie de la Mauritanie n’a jamais intéressée nos dirigeants. Comment pourrait-on en effet aspirer à leur intégration dans les programmes scolaires. N’y a-il-pas lieu de retracer la trajectoire historique de certaines contrées qui furent des centres de décisions dans la Vallée du fleuve. Pourquoi les villages traditionnellement connus pour être des chefs lieux avant et après la période coloniale n’intéressent-ils pas la conscience collective nationale ? Pourquoi les grands orateurs issus de cette communauté ne sont-ils pas considérés officiellement comme des personnalités nationales ? La valorisation des cultures noires n’est-elle pas un facteur afin de réconcilier l’Etat avec ses fils ?
En réalité, l’image doit demeurer arabe. Cet état de fait laisse croire que les cultures des peuples noirs du pays ne sont pas bien considérées par leurs homologues arabes. Ceux-là qui pensent que les esclaves s’achètent encore sur le trab el beidane. C’est pourquoi aucun patrimoine culturel n’intéresse les pouvoirs publics : ni les paysages, et encore moins les traditions culturelles (le pékan, les chants Awloubé-griots, et lawbbe, l’art du njaro chez les peuls, le Fifiré chez les pêch eurs, le géni des cordonniers et des forgerons). L’Etat préfère tout simplement ignorer afin que disparaisse progressivement le savoir-faire culturel héroïquement sauvegardé des générations durant.
Par ailleurs, il ne faut pas se leurrer. « La Mauritanie est un pays multiculturel » : cette phrase partout haranguée ne traduit que le degré le plus élevé de l’esprit démagogique de nos dirigeants. En réalité, tout est fait pour mettre en exergue l’identité arabe au détriment des autres cultures. Quel élève mauritanien n’a pas été sommé d’avaler ce cours d’histoire portant sur les villes anciennes en Mauritanie : Chinguitty, Oualata, Ouadane, Tchitt ect… Ce cours est dispensé avec une honteuse falsification de l’histoire.
Dans son livre édité en 1989, Moktar Ould Hamidoune qui a été l’un des premiers locataires de la Direction de la Culture en Mauritanie en 1961, juste après l’indépendance de notre pays, à délimiter toute présence des Négro-Africains sur l’aire géographique dont la plus importante partie se situe sur le territoire de ce que s’appellera bien plus tard, la Mauritanie, chevauchant sur l’Algérie, le Sahara occidental.
Il en a précisé les origines et les vestiges qui restent encore de nos jours. En effet, du sixième au quinzième siècle, le Sahara était très restreint. A l’époque, les habitants de cette surface s’adonnaient à la culture et à l’élevage : il y avait des lacs, et les pluies abondantes permettant à ces lieux d’être luxuriants, un don du créateur de l’Univers. Les noms de plusieurs de ces cités d’alors ont été quelque peu modifiés par la prononciation des arrivants, les Berbères.
A propos des villes anciennes, laissons parler l’un des dignes historiens mauritaniens, Amadou Mocktar Kane. Dans une réponse à Didi Ould Salek que j’ai moi-même eu à saisir, l’historien relate les vérités suivantes:
Dans l’Adrar, les vestiges sont encore plus nombreux. Les Maures ont transformé les appellations initiales des Cités.
Aoujeft : C’était une zone où se trouvait un très grand lac, où les populations venaient pêcher. Le nom en Pulaar était « Aw Djoftu » ce qui signifie : « Va pêcher et revient le soir ».
Ouadane : Cité, aussi, habitée par les Peulhs, le nom initial était « Whodhani » ce qui signifie : Ce n’est pas loin.
Atar : Cité bambara initialement dont le nom était « ATARA » ce qui signifie « Il est parti ».
Dans le Tagant des noms de zones, forêts ou de dunes se constituaient. « Thiafel Nanghé » : Rayon de Soleil, sur une énorme chaîne dunaire près de N’beika . Thiafal Kossam : traité de lait de vache dans la même zone.
La prononciation des nouveaux locataires des lieux a modifié quelque peu ces mots. Si l’on prête attention à la prononciation des Maures, on peut déceler l’origine étymologique Peulh, les premiers autochtones en ces lieux. Cela m’a été rapporté en 1965 par mon père Abderrahmane Ould Soueid Ahmed Emir à cette époque du Tagant.
Dans le Hodh Charghi, la cité Oualata, comme son nom l’indique, est bel et bien Peulh. Ce nom signifie que certains ne peuvent pas passer la nuit « A Walata ».
Jusqu’à ce jour, les recherches anthropologiques de notre zone nord montrent ces vestiges vieux comme l’homme, des canaris, des écuelles, des bracelets en tous genres, marmites, perles et autres matériels pour les cultures.
Que dire de Chinghitti ? Création des Soninkés, parmi lesquels il y avait à l’époque des Ulémas. Plusieurs de ces marabouts se rendaient à la Mecque à pieds et sur des montures.
Il y a encore actuellement des descendants de la dynastie des Kane, installés à Aoujeft depuis le seizième siècle, leur concession est appelée, jusqu’à ce jour, Maison M’rabatt Kane.
Cette année encore, l’Etat mauritanien célèbre en grande pompe à Tchitt la deuxième édition Festival des villes anciennes sous la houlette du Président de la République. Il faut dire sans risque de se tromper que ce soit sur le plan médiatique ou culturel, la valorisation des cultures arabes se fait dans le déni total de reconnaissance des droits culturels, et notamment l’enseignement des langues maternelles à l’école.
Heureusement que Baba Maal a pensé au Sud puisque la Culture n'existe qu'au Nord de la Mauritanie. Un jour, le peuple se souviendra de Baba Maal à la place de l'Etat mauritanien. Il a eu l’idée d’organiser le grand Festival des Blues[4] au courant de l’année 2012 à Boghé. Ce fut une occasion de voir la réminiscence de la culture peule longtemps broyée et ignorée par les pouvoirs publics. L’ami de notre regrettée Diva nationale Dimi Mint Abba a convié des artistes maures et maliens afin de célébrer la diversité culturelle. Jamais les organisateurs du Festival des villes anciennes n’ont invité des artistes noirs pour signifier la symbiose culturelle préexistante. On danse actuellement à Tchitt, alors qu'au Sud, on autorise l’ouverture des postes de contrôles. On décrète un couvre-feu dans les quartiers populaires de Nouakchott à forte concentration des citoyens noirs. Le Président Mohamed Ould Abdel Aziz est allé de bonne conscience au Nord, là où l’on marche sur les larmes et les os des hommes noirs. Nous disons bonne salutation au Nord, là où reposent Téne Youssouf Guéye et Djiguo Taspirou. Que les gens du Nord profitent de leur joie tandis que la détresse envahit ceux du Sud. C’est au Sud que des villages se sont vidés lors du génocide du 1989 dont les commanditaires dansent avec le peuple de la Mauritanie profonde.
Le mérite de Baba Maal est d’avoir honoré la culture peule là où l’Etat mauritanien a échoué. Baba Maal a également donné une leçon aux cadres noirs incapables de proposer aux pouvoirs publics de décentraliser le Festival des villes anciennes dans la Vallée, ne serait-ce que pour rapprocher les peuples. Et que l’on sait que les premiers peuples autochtones de ces villes sont des Soninkés et des Peuls avant l’arrivée des razzias arabo-berbères au 14 siècle sous les Almoravides. En attendant, le réveil de la conscience collective nationale, les populations de la Vallée peuvent encore spalmodier : Béni soit Baba Maal.
Les revendications culturelles d’un peuple doivent être respectées dans un état de droit et d’égalité. Ce à quoi nous assistons actuellement au Mali en est une parfaite illustration. Avant que les mouvements terroristes s’installent dans le Nord du pays, les autorités maliennes faisaient face aux revendications légitimes du peuple Touaregh pendant longtemps marginalisé.
Bâ Sileye
Sociologue et Journaliste mauritanien
[1] Forêt dans le sud de la Mauritanie se trouvant entre Mbagne et Dawallel, sur la Vallée du Fleuve Senégal. Anciennement occupé par le peuple Sérere avant l’arrivée des pêcheurs.
[2] Le seul village peul de la Mauritanie dont les éleveurs n’ont pas connu l’exode pendant les périodes de grandes transhumances. Il se situe dans la région du Gorgol.
[3] Un ancien village peul dont les premiers habitants se trouvent dans l’autre rive du Fleuve.
[4] Notons que le festival Les Blues du Fleuve est organisé par une association du même nom, créée à Podor à l’initiative de Baaba Maal qui en est le Président d’honneur.
Commentaires