Les actions du mouvement l'Initiative pour la Résurgence Abolitionniste (IRA) viennent de prendre une nouvelle tournure. Le président Birame Dah Abeid était déjà connu par sa hargne, la radicalité de son discours et surtout sa détermination dans son combat contre l’esclavage des harratines en Mauritanie. Ce qui lui a valu un séjour en prison en décembre 2010 suite à un procès dans une affaire d’atteinte à l’intégrité et à la sureté de l’Etat. Au sortir de la prison, l’abolitionniste avait déclaré depuis l’Italie qu’il se battra pour la cause des harratines et des droits de l’homme en Mauritanie jusqu’à la dernière goutte du sang. Depuis, ses activités se multiplient avec notamment des découvertes des cas d’exploitation de filles mineurs dans les quartiers périphériques de la capitale et à l’intérieur du pays. Il fut également l’instigateur du mémorable pèlerinage à Inal pour rendre un hommage aux 28 officiers halpularens pendus dans les années 90 par les autorités militaires mauritaniennes.
Au delà de ses actions, son discours agace plus d’un dignitaire et notable de certaines tribus maures anciennement propriétaires des harratines . D'autre part, Birame est toujours en ligne de mire contre les Ulémas du pays. Pour lui ces derniers consacrent et approuvent l’esclavage. Il a maintes fois fustigé leur « silence complice ».
Il vient d’être au cœur d’une regrettable polémique. Vendredi dernier, le leader harratin a boycotté les mosquées Nouakchottoises pour s’ériger le rôle d’un imam des abolitionnistes dans son quartier. Selon certaines sources, plusieurs lettres dans lesquelles le mouvement explique et justifie cet acte de boycott auraient été envoyées aux autorités et personnalités religieuses. Les principales motivations du mouvement consistent à s’indigner contre le rite Malikite largement répandu et pratiqué dans la sous-région. Selon le leader abolitionniste, le rite malikite légitime la pratique de l’esclavage. D’où l’ordre donné par ce dernier à ses militants d’incendier des célèbres livres comme le « Al-Mouwatta » : il s'agit d'un ouvrage compilant des éléments de la Sounna ainsi que certaines opinions juridiques émises par les nobles compagnons, les Successeurs et autres savants parmi les pieux prédécesseurs. En incendiant ces livres sacrés, Birame touche la sensibilité religieuse en heurtant les consciences des croyants. C’est un acte grave et condamnable. L’IRA vient de transgresser des limites car comme le disait Imam ach-Châfi'i:« l'ouvrage le plus authentique après le Livre de Dieu est le Mouwatta de Mâlik ». Birame n’a pas seulement incendié « ses livres» mais des références en matière de jurisprudence islamique. Il est plus judicieux de répliquer par la science et la sagesse devant la haine et le déni des oppresseurs.
Les instances dirigeantes du mouvement l'Initiative pour la Résurgence du Mouvement Abolitionniste en Mauritanie pouvaient convoquer dans un colloque ou une conférence, des jurisconsultes des autres rites pour réfléchir sur la question de l'esclavage et son interdiction en Islam, en imposant la considération des recommandations issues de leurs réflexions car le figh doit prendre en charge le contexte. De ce fait pousser à un moratoire sur la question de l'esclavage.
Ils peuvent aussi s’approcher des savants du texte et du contexte prônant la réforme radicale dans les sociétés contemporaines majoritairement musulmanes dont certains travaux ont été entamés en Europe par des grands réformistes.
Pour contester les propos de certains savants, L'Ira pouvait aussi organiser des sit-in devant le centre de formations des ulémas dont le Président est le grand érudit Cheikh Mahamed Hassan Dedew, devant la grande mosquée de la capitale et devant la maison des muftis .Tenir et organiser en effet des actions légitimes et pacifiques. Le respect de la culture oblige à faire l'économie de certaines pratiques.
Avec cet acte, ils signent une double défaite. Primo, ils perdent toute crédibilité aux yeux de l'opinion publique nationale considérant cet acte comme une profanation (ce qui est en soi une transgression). En effet les livres expliquent et contiennent la parole d'Allah et de son Prophète (paix et salut sur lui). Secundo, les savants malikites du pays peuvent faire un bloc et multiplier des pressions sur les autorités pour déstabiliser et faire éclater leur mouvement. Alors, chose qui n’a pas tardé. La manifestation qui a été organisée partant de la grande mosquée jusqu’au palais présidentiel condamnant « cette dérive d’Ira » illustre de ce que nous venons d’avancer.
Le Président Mauritanien recevant des manifestants contre l'incendie des livres par les militants d'Ira
Mais il y a là un grand paradoxe qui dévoile au vu et au su de tout le monde l’hypocrisie de nos dirigeants. A Nouakchott, pour une dizaine de manifestants, le Président Mohamed Ould Abdel Aziz promet de faire le nécessaire pour que des mesures soient prises pour punir Biram Dah Abeid Président de l'Ira pour avoir incendié des livres du rite malikite. Et le même soir, une centaine de policiers délogent Birame à son domicile sans aucun mandat d’arrêt. C’est comme ça la Mauritanie. On punit quand certains s’attaquent à certaines valeurs au même moment où l’Etat continue de protéger bec et ongle des criminels des actes barbares commis à l’égard des « négros-mauritaniens » en 1989. C’est comme ça la Mauritanie. L’Etat punit pour un mécontentement des fanatiques, mais épargne de véritables transgresseurs des règles d’Allah : ceux qui ont tué des hommes et violé des femmes. C’est comme ça la Mauritanie. L’Etat reste indifférent à l’impunité des crimes contre l’humanité mais cède facilement à l’émotivité des esclavagistes. C’est une sorte d’hypocrisie nationale que de recevoir des gens déchainés à l’heure de la grande répression aveugle des étudiants et de la marginalisation des franges des composantes nationales.
C’est comme ça la Mauritanie, bientôt on verra le procès de l’affaire des livres alors que le meurtrier de Lamine Magane circule tranquillement à Rosso. Tout comme Arby Ould Jidein siége chaque matin du haut de son perchoir à l’Hémicycle. Aziz promet la justice et oublie la communauté « négro-africaine » qui attend toujours la traduction des bourreaux de leurs fils militaires, agriculteurs et citoyens ordinaires. Quelle Mauritanie? Quelle hypocrisie? La justice n’est donc nulle part de ce pays ou s'applique-t-elle qu'à une frange? C’est comme ça la Mauritanie. On punit les innocents et on honore les coupables…
Bâ Sileye
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