La république islamique de Mauritanie fête ce 28 novembre son cinquantenaire de souveraineté nationale. Elle célèbre l’accession à son indépendance après s’être tirée du joug de la colonisation occidentale en l’occurrence la France. Ce fût alors le 28 novembre 1960 que le père de la Nation, le feu Mocktar Ould Daddah, proclama contre « vents et marées » l’indépendance de ce pays jadis perdu dans le désert. A l’époque et vu le contexte qui prédominait notamment la revendication du territoire de part et d’autres, l’accession à cette autonomie était incontestablement un acquis. Mais très vite, le père de la nation devait faire face à plusieurs épreuves et défis dont on dispose de nos jours. La Mauritanie reste toujours un pays à construire dans son unité et son intégrité nationale
Néanmoins, Daddah a bâti une nation. Mais en revanche, il a aussi légué un chantier qu’aucun chef d’Etat mauritanien, après lui, n’a jusqu’ici réalisé. Il s’agit en effet de la construction d’un Etat digne de ce nom dans lequel la cohabitation entre les différentes communautés laisse encore à désirer. Cinquante ans après l’indépendance, le peuple mauritanien n’a pu croire qu’à des fausses promesses des ses dirigeants qui ont tour à tour pris les rennes du pouvoir. Comparé à certains pays, la Mauritanie n’est pas encore sortie de l’auberge. Tous ces cinquante ans, le pays n’a fait qu’avancer à reculons.
Le cinquantenaire consistera pour notre part de saisir l’occasion afin d’informer le peuple du bilan, de juger les acquis et projeter un lendemain meilleur en se basant sur nos expériences antérieures et actuelles.
50 ans après : Un pays riche, mais pauvre aussi
La Mauritanie est un des pays les plus pauvres du monde. Il est classé au 154e rang (sur 182 pays) par le PNUD pour l’indice de développement humain. Avec 3 millions d’habitants, la moitié de sa population vit sous le seuil de pauvreté. On estime que 46% de la population sombre dans la pauvreté d’où la recrudescence de l’exode rural et tous ces antécédents notamment la délinquance. Selon, les institutions internationales, le pays vit sous une contrainte récurrente de la sécurité alimentaire. D’aucuns ignorent qu’en Mauritanie on importe 65 à 80% des besoins en céréales. Sur le plan économique, la situation du pays a été désastreuse toutes ces dernières décennies. Selon les observateurs, la Mauritanie ne s’est toujours pas remise de la mauvaise gestion qu’elle a connue sous la dictature Maouiya Ould Sidi Ahmed Taya, lequel a été destitué le 05 Août 2005 par Ely Ould Mohamed Vall.
L’ouverture démocratique sous Sidi Ould Cheikh Abdallahi n’a changé en rien les déficits budgétaires et économiques. Alors qu’on estime que 2009 a été l’année la plus difficile notamment avec la persistance de la dégradation du cours du fer dont les ventes avaient chuté de 32 % ainsi que la réduction de la production de pétrole. Pour la même année encore, le taux de croissance du PIB réel hors pétrole fût estimé à 0 ,9% contre 4,1% en 2008. Malgré la baisse considérable des dépenses d’investissement, la Mauritanie a connu un déficit budgétaire de 7,7% en 2008 et contre 5,3% en 2009. Cependant même avec l’attribution de la part du Fond Monétaire internationale ( FMI), le 15 mars dernier d’une Facilité Élargie de Crédit d’un montant de 188 Millions Euros sur trois ans , nombreux sont les observateurs qui restent perplexes au sujet de l’amélioration de la situation économique du pays. Il faut ne pas oublier de signaler que la Mauritanie avait bénéficié d’un allégement de sa dette de 1,1 millions de dollars avant d’obtenir l’annulation de sa dette de 400 millions de dollars en 2006.
A cela, il convient d’ajouter un taux d’alphabétisation estimé à 54% par l’UNICEF en 2008 et depuis le secteur éducatif national ne cesse de se dégrader faute des politiques cohérentes de la part du ministère de la tutelle et des autorités qui ne cessent d’imposer des reformes inutiles et très coûteuses à l’Etat. C’est cette grande pauvreté que l’actuel président prétend combattre. Pour lui, le malheur réside dans le fait que très longtemps les ressources du pays ont été pillées par des dirigeants –prédateurs.
Aziz s’était présenté comme le candidat des pauvres aux élections de juillet 2009, mais ces derniers n’ont constaté jusqu’ici aucune amélioration dans leur mode de vie. Toujours des voix s’élèvent ça et là pour réclamer un pain quotidien et plus de dignité. Pourtant leur candidat avait promis des lotissements à ceux qui nichent dans les gasras ; aujourd’hui, il ordonne leur déguerpissement de leurs occupations de fortunes pour que les riches en profitent. On est plein droit de se demander de la véracité de son amour aux pauvres.
Où sont les réalisations ?
Ce cinquantenaire met le Président Aziz devant plusieurs défis même s’il projette de procéder à l’inauguration, selon la commission ministérielle chargée du cinquantenaire de l’indépendance à une centaine de réalisations ce 28 novembre. Cette commission créée le 23 Mai 2010 avait estimé le budget des festivités de la célébration de ce cinquantenaire à deux millions d’ouguiya ce que le Président va décliner par la suite en optant à l’inauguration ça et là des réalisations engagées depuis deux décennies . On rappelle que depuis l’accession au pouvoir, le Président Ould Mohamed Aziz, tout Nouakchott vit au rythme du changement. En effet, de grands chantiers ont été entamés notamment la réhabilitation de deux artères de la capitale. Mais tout cela parait paradoxalement subtil par rapport aux attentes de la population et aussi par rapport aux productions minières du pays.
Refonder l’Etat ou instaurer la justice
Face à la détermination du Président de la République à poursuivre son projet de la construction d’une Mauritanie nouvelle, il n’en demeure pas moins que les critiques fusent de partout depuis son accession au pouvoir. Il avait promis de lutter contre la corruption, il ne parvient toujours pas à assainir la gestion publique et promouvoir une gouvernance ainsi que la répartition équitable des ressources étatiques. Les pouvoirs publics prétendent s’investir afin d’informer le peuple sur ce fléau, mais il continue à gagner du terrain, même si cette lutte a fait tomber quelques têtes. Lors de la table ronde des partenaires au développement de la Mauritanie tenue à Bruxelles au mois de juin dernier, la délégation mauritanienne avait présenté une stratégie de lutte contre la corruption axée sur trois principaux points. Il s’agit d’information et de sensibilisation, de prévention, de sanctions et de coopération internationale. Dans le premier volet, Nouakchott a fait croire aux bailleurs que cette lutte sera même intégrée dans « les curricula scolaires et professionnels ». Or, nul n’ignore que la corruption est devenue une survivance et son éradication n’est pas pour demain car elle est davantage ancrée dans les mentalités.
Journée de deuil ou pas ?
Sur le plan politique, le cinquantenaire de l’indépendance nationale coïncide avec la recrudescence de certaines doléances face à la sourde oreille de nos pouvoirs publics. Tout le monde se demande pourquoi, les dirigeants mauritaniens, qui se sont succédés après la chute de Taya ne veulent pas régler définitivement l’épineux dossier du passif humanitaire et des déportations des pans de la communauté négro-africaine durant les années 1990. Aujourd’hui, nul n’ignore les victimes et les coupables. Donc, pourquoi l’Etat ne statue pas une bonne fois sur ce dossier afin de passer à l’étape de la réparation et de la réconciliation entre les fils de cette nation.
Le Président de l’AJD/ MR Ibrahima Mocktar Sarr aurait demandé à la commission interministérielle (sic), présidée par le ministre Sy Adma, de faire du 28 novembre une journée de deuil national. Il aurait sollicité aussi au Président de la République de créer une rue à la mémoire des 28 soldats négros africains exécutés sommairement dans la nuit du 27 et 28 Novembre 1990. l’AJD/ MR a dans un communiqué publié cette semaine, lancé un appel à tous ses militants en leur demandant de porter un brassard noir en guise de deuil.
Sur le plan international, les forces de libération africaine de la Mauritanie ( FLAM) ont lancé depuis bientôt un mois une pétition internationale contre l’impunité en vue de la traduction en justice de ceux qu’ils appellent « bourreaux des années de braises 1987-1991 ». Ces derniers exigent aussi que la journée du 28 novembre soit désormais célébrée « un jour de deuil à la mémoire des victimes du racisme et du chauvinisme d'Etat mauritanien, un jour de grande Communion avec toutes les victimes de la barbarie raciste anti-noir du Système fasciste mauritanien ». Selon leur porte parole, Mouhamadou Kaw Touré : « les flams vont organiser partout dans le monde des manifestations pour réclamer le boycott de la célébration de la journée du 28 novembre tout en exigeant que cette journée soit à la mémoire des 28 soldats négro-africains pendus arbitrairement ».
Par ailleurs, dans une conférence de presse tenue à Dakar dans le courant de la semaine passée le leader abolitionniste Biram Ould Abeid a déclaré qu’ : « il est très absurde qu’un être humain accepte de fêter le 28 novembre ».
Cette position met le Président Aziz devant beaucoup de difficultés. Certains pensent que c’est une des raisons qui l’on poussé à annuler les festivités prévues pour le cinquantenaire même si d’autres ont privilégié le budget très colossal. Le Président Aziz s’était engagé lors de sa campagne électorale et sa visite à kéadi notamment la fameuse « prière de l’absent » de prendre en main le dossier du passif humanitaire. Qui ne se rappelle de la visite en pompe de certains présidents des associations de droits de l’homme au palais ocre afin de leur écouter et leur réaffirmer sa détermination. Mais le paradoxe en est que ces derniers exigent la réhabilitation de l’honneur et la mémoire des victimes ainsi que le jugement des coupables des exactions perpétrés par l’Etat Mauritanie. En réalité, c’est là où que le bas blesse.
Enfin, certains intellectuels pensent que l’heure doit être celle de l’apaisement des esprits tout en se posant le curseur vers un lendemain meilleur. Sur ce dossier, toutes les expériences notamment en Afrique du Sud, on montre qu’il faut nécessairement procéder par réparation des dégâts, et ensuite à partir de là, l’on peut songer à la réconciliation nationale. On ne peut pas se contenter seulement comme l’on déjà fait les plûmes de ce pays à poser les portraits dithyrambique du père de la Nation Mocktar Ould Daddah et de faire des éloges de l’actuel Président en oubliant les grandes questions qui nous scindent. En effet, adopter cette attitude serait le synonyme d’une fuite en avant.
On ne peut pas refondre un Etat qui évolue dans l’injustice et la domination par une classe dirigeante. D’ailleurs de nos jours, le problème n’est pas seulement celui de la refondation d’un Etat comme le réclame Aziz, mais il est incontestablement celui du pansement des plaies nationales qui saignent toujours. Comment on peut y songer si tout un pan du peuple mauritanien se sent victime du racisme de l’Etat et de la ségrégation. On ne peut pas non plus ignorer les souffrances d’un peuple et vouloir bâtir en même temps pour ce peuple.
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