Depuis le manifeste des 19 en 1966, jamais la confusion n’a été aussi totale au tour de la question des langues nationales. Et cela, depuis que le Premier Ministre Moulaye Ould Mohamed Lagdadaf a tenu un discours au Palais des Congrés en déclarant que l’Etat procédera à l’arabisation de l’administration du pays. Beaucoup de citoyens n’avaient pas porté l’attention sur les dérives de ses propos à l’occasion de la célébration de la journée mondiale de langue arabe, au début du mois de mars. Mais il fallait attendre la conférence de presse tenue à la primature pour qu'Ould Lagadaf franchit le Rubicon en semant la zizanie. En guise d’une réponse adressée à un journaliste, le dauphin d’Aziz, déclare sans aucun complexe que la Mauritanie est un pays arabe. Par conséquent, elle demeure, l’unique langue de communication dans la sphère publique et aussi dans la gestion des affaires de la cité. Mais la sale besogne de porter atteinte à l’identité des autres composantes du peuple Mauritanien a été confiée à la ministre de la Culture et des sports laquelle alerte expressément que la langue arabe est menacée par les dialectes nationaux.
Tout compte fait, cette dangereuse attitude du système en place devrait susciter l’ire de tout le monde puisqu’elle convoque les crispations identitaires. C’est la raison pour laquelle les étudiants francophones de l’université de Nouakchott, soucieux de leur avenir l’ont compris ; d’où l’esprit du mouvement de la grève du 24 mars dernier organisé par le syndicat national des étudiants mauritaniens (SNEM).
Il faut souligner, ici que cette irresponsable attitude des nos dirigeants, traduit à la fois un esprit de mépris et de banalisation de l’autre qui s’est longuement nourrit d’une démagogie sans précédant. Et cela depuis le lendemain du manifeste des 19.
L’hégémonie de la démagogie
Cependant, un problème qui ne se résout pas mène inévitablement à la dérive. C’est du moins ce que l’on peut constater lorsqu’un Etat refuse d’affronter sérieusement des préoccupations de son propre peuple. Tous les dirigeants que la Mauritanie a connu jusqu’ici se sont inscrits dans la même ligne de conduite. Ils ont toujours affiché leur indifférence par rapport à la question des langues nationales. Et le comble réside dans la volonté d’imposer la langue arabe à tout prix à des communautés africaines tout en oubliant que la Mauritanie est un pays biracial.
En réalité, c’est là que git le lièvre. Si la question de la cohabitation et la cohésion nationales demeure toujours posée, avec autant de rigueur et consistance, c’est que nos successifs chefs d’Etat à commencer par celui que l’on nomme père de la Nation, n’ont pas voulu répondre objectivement aux soucis et aux revendications des autres composantes de la Mauritanie. Bref, ils ont toujours voulu préserver l’hégémonie de la langue arabe aux dépens du pulaar, le soninké et le wolof.
D’aucuns
ignorent que le problème des langues nationales n’est pas récent, mais il demeure
toujours de l’actualité. Tout comme on
est convaincu? que tant qu’il n’est pas
résolu, la cohabitation nationale sera toute même incomplète voire impossible.
Curieusement, il s’est posée, quelques années seulement après l’accession de la Mauritanie à son indépendance selon la même période et selon les mêmes circonstances que ces derniers temps. Il faut dire qu’après l’épreuve de l’autonomie de la Mauritanie, celle de la confusion interne nourrie de la démagogie ethno-tribale s’est installée jusqu’à nos jours. Et depuis, la Mauritanie stagne.
En effet, les années 60 étaient la période durant laquelle certains citoyens mauritaniens ont soulevé des vraies questions nationales. Mais la banalisation et comme, nous allons le découvrir, parfois la diabolisation ont conduit à la dislocation du tissu social. C’est dans cette perspective que le pays a connu dans son histoire deux véritables manifestes dont les auteurs ont été traités de tous les mauvais oiseaux.
De l’unique cause aux mêmes dérives
Et pourtant, ces derniers n’ont pas brandi des armes contre l’intégrité et pérennité de la jeune nation, ils ont seulement défendu des droits d’une écrasante majorité de ce pays. En effet, selon la situation de confusion que traverse actuellement du pays surtout avec le tout récent mouvement des étudiants francophones ce 24 mars à l’université de Nouakchott, il me semble très opportun de rappeler l’esprit du manifeste des 19 quand on sait qu’il s’agit encore du secteur éducatif.
Comme les étudiants francophones du campus universitaire, les auteurs du manifeste des 19 voulaient uniquement rappeler au régime de l’époque que la Mauritanie n’est pas seulement arabe. C’est pourquoi, ils avaient répondu favorable au mouvement scolaire en s’opposant à la décision de Mocktar Ould Daddah de réorganiser l’enseignement public du 1er degré et le secondaire en promulguant une loi rendant l’arabe obligatoire.
Le père de la nation était convaincu de leurs soucis et de leur détermination, c’est pourquoi après leur suspension, il avait autorisé aussitôt leur arrestation. D’ailleurs, il le souligne dans son livre en reprenant à la page 339 de son livre : « la Mauritanie contre vents et marrées » un passage de ce manifeste notamment « le bilinguisme n’est qu’une supercherie permettant d’écarter les citoyens noirs de toutes les affaires de l’Etat ». Cette alerte précoce, représentaient un danger potentiel aux yeux du Président de la République. Mais en revanche, à la place des citoyens, le Président cherchait des « vrais nationaux et des vrais nationalistes ». C’est pourquoi, il y a eu le divorce et le déchirement entre les partisans d’une Mauritanie entièrement arabe et une Mauritanie arabe et africaine.
Dans les deux camps, l’extrémisme l’a souvent emporté sur les revendications et doléances mais le pire réside dans la démagogie et l’instrumentalisation que l’Etat use de cette question. Ce sont les nouvelles générations qui payent les pots cassés. Aujourd’hui, la situation a pris une autre allure, avec le racisme que l’on décrie ici et là, la dérive a atteint son ultime paroxysme. Il y a pas que des noirs opprimés mais aussi certains maures sont subissent les vicissitudes de l’idéologie qui a imposé le tribalisme et le régionalisme. Il faut dire aussi qui si certains négro-africains réclament être victimes du racisme, les harratines combattent toujours l’esclavage.
Par ailleurs, pour s’en rendre compte des aberrances du système, il suffit de faire un état des lieux du secteur de l’éducation nationale. Car la mise à genoux de ce secteur est consécutive à l’obéissance à la lettre des fameuses lois à savoir 65. 025 et 65.026 promulguant l’obligation de l’enseignent l’arabe tout en oubliant que cette langue n’est pas celle de tous les mauritaniens. Car aujourd’hui, nombreux sont les cadres mauritaniens dont la plupart issus de la communauté négro-africaine qui se sentent complètement écartés. Mais le pire est encore à venir avec l’aboutissement de la réforme de l’enseignement en vigueur.
Nous sommes entrain de subir les conséquences d’une politique démagogique bien ancrée avec le silence presque complice des intellectuels Mauritaniens. Elles sont partout vérifiables depuis les déclarations du premier ministre lors de la célébration de la journée mondiale de la langue arabe au début de ce mois et surtout dans sa honteuse réponse adressée au journaliste mauritanien.
Parmi celles-ci, on peut citer les critères de sélection pour la bourse aux étudiants mauritaniens à l’étranger. Au delà de la décision populiste du Président Aziz d’octroyer plus de bourses aux étudiants inscrits à l’université de Nouakchott et la promotion des filières scientifiques au détriment des autres, la commission nationale des bourses a rendu une liste partout jugée très discriminatoire et souvent raciste selon certains étudiants.
Alors dans ce contexte de confusion et de tâtonnement dangereux, l’on s’interroge sur la réelle volonté des pouvoirs publics d’œuvrer pour la consolidation de l’unité en décrétant le 25 mars une journée de la réconciliation nationale.
Bâ Sileye
Sileye87@gmail.com
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